Beaver affirme : « Avec le cannibalisme et l’inceste, [l’homosexualité] est l’incarnation même de l’autodestruction sociale dans sa recherche d’une proie à dévorer. Ensuite, elle se met à chanter « Amour, amour, je t’aime tant » en se regardant dans le miroir. Seuls les animaux et les êtres humains antérieurs à la culture et dépourvus de morale peuvent se livrer librement à de telles pratiques sexuelles31. Dès ce jour, le roi ne voulut plus jamais revoir sa fille et s’enferma dans son veuvage. 71 J’ai montré ailleurs (voir Salonnières…, op. 53C’est comme si la princesse s’était mise en scène afin que le prince en tombe amoureux et qu’elle puisse l’observer, ce qui conduit le spectateur à se demander si elle ne serait pas elle-même dotée de quelques pouvoirs féeriques. Avant Demy, seul Albert Capellani osa transposer « Peau d’âne » au cinéma pour Pathé-Frères (Peau d’âne, 1908). À l’image des conteuses des années 1690, le cinéaste crée des personnages féeriques qui se délectent du plaisir et de la beauté de mondes utopiques et transcendent les limites du genre et de la sexualité, imposées par leurs sociétés respectives. » Toutefois, la juxtaposition de la princesse avec son double bestial dans le film de Demy, ainsi que l’incongruité de l’image de la princesse préparant un gâteau, vêtue d’une robe d’apparat, sophistiquée et encombrante, rend la scène assez ridicule, ou plutôt souligne les aspects que l’on peut déjà considérer comme camp dans le film de Disney, où la représentation de la domesticité est elle-même à la limite de la parodie. Pas fan des classiques à la base, celui ci est l'un des pires que j'ai vu. L’une et l’autre se servent très fréquemment de miroirs dans la construction réfléchie de leur identité individuelle qu’elles présentent, tant à autrui qu’à elles-mêmes, comme une œuvre d’art. Vêtu de rouge alors qu’il traverse la flore verdoyante, le prince ressemble lui-même à une rose dans la forêt. endobj Avec la baguette magique, Peau d’Âne transforme la vieille table en jolie table. 1L’intérêt que Jacques Demy portait depuis longtemps à « Peau d’âne », le conte problématique de Charles Perrault dont le sujet est la relation incestueuse entre un père et sa fille, a été remarqué par les commentateurs. « Amour, amour, je t’aime tant » chantait Peau d’Âne. Il me semble que la création d’une version camp de ce récit met en jeu à la fois une lecture camp du conte et une transfusion de l’esthétique camp dans le conte. cité, p. 136. En second lieu, l’association de l’homosexualité avec l’inceste ne rend guère justice au désir queer qui s’en trouve stigmatisé comme forme anormale et perverse de sexualité. 2 Jean-Pierre Berthomé, op. endobj 42Dans ses fameuses « Notes on “Camp” », Susan Sontag a choisi une citation d’Oscar Wilde tout à fait appropriée pour définir l’esthétisme camp tel qu’il se manifeste chez le sujet individuel : « Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art66. 88 Voir Brett Farmer, « The Fabulous Sublimity of Gay Diva Worship », Camera Obscura, vol. Document vidéo. Jean-Pierre Berthomé relève que Demy « mettait en scène le conte de Perrault sur son théâtre de guignol, avec beaucoup d’autres de Perrault et de Grimm2 ». Intéressé par le genre du conte de fées en général, Demy était tout particulièrement captivé par cette histoire d’inceste, thème récurrent dans d’autres de ses films, comme Parking, version du mythe d’Orphée dans laquelle Hadès (Jean Marais) est l’époux de sa nièce, Claude Perséphone (Marie-France Pisier), et Trois places pour le 26 où le personnage d’Yves Montand, incarné par lui-même, couche avec Marion, interprétée par Mathilda May, dont il ne sait pas qu’elle est sa fille4. 26 L’auteur cite ici l’une des définitions du terme « primitive », donnée en anglais par l’Oxford English Dictionary (N. D. T). 23Dans le schéma freudien, l’homosexualité masculine a pour objet le désir du père39. 63 La scène dans laquelle Blanche-Neige découvre la maison des nains constitue une modification importante du conte des frères Grimm. La reine est à la fois l’objet du regard de l’Autre et l’agent désirant qui regarde l’Autre. 7 Dans le film de Capellani, les hommes du roi brossent l’âne pour qu’il défèque et expulse les pièces d’or. cit., p. 1-9. Chaque famille se suffisait à elle-même et se perpétuait par son seul sang. Bien que cet auteur emploie le concept d’« esthétique de la frivolité » à propos de l’esthétique des conteuses des années 1690, les femmes belles, à la mode et mondaines que désigne cette notion se retrouvent tout à fait dans la fée des Lilas et la princesse du film de Demy. Par toutes ses attaches avec les textes et les engins du monde moderne, la fée incarne l’avenir inscrit dans le passé et rappelle constamment au spectateur l’existence d’un écart entre notre temps et le non-temps (le passé intemporel) du conte représenté à l’écran, ce qui rend manifeste et, par là même, dénaturalise l’artifice du cinéma en tant que moyen d’expression. Comme dans d’autres scènes du film, l’incongruité sape l’ordre hétéronormatif bourgeois en le dénaturalisant. du danois par Patricia MacAndrew et Per Avsum, Copenhague, Glydendal, 1986, p. 73). Commentant Peau d’âne, Demy déclare que le château bleu du père de la princesse – la forteresse du XVe siècle du Plessis-Bourré – représente l’Ancien Régime et les tendances conservatrices, tandis que le château rouge du prince – l’élégant château de Chambord de la Renaissance – symbolise quelque chose de plus « révolutionnaire21 ». On peut le voir sur le site de l’INA (http://www.ina.fr/video/4223827001). cit., p. 245). Comme avec la fée, nous découvrons d’abord Marie-Antoinette devant son miroir, assistée du coiffeur royal qui lui sculpte la chevelure et y incorpore une réplique de bateau en argent. Amour, amour, je t'aime tant. La fée répond : « Y penses-tu ? Paroles de la chanson « Amour Amour » dans « Peau d’Âne » de Jacques DEMY. Ah l’amour ! Malgré la présence de références visuelles et thématiques au Blanche-Neige de Disney et au Magicien d’Oz, les allusions à Cocteau sont les plus parlantes car elles peuvent être lues comme autant d’inscriptions dans Peau d’âne d’éléments de l’esthétisme gay ou camp qui sapent l’hétéronormativité apparente et troublante du conte de Perrault et des versions ultérieures. Le miroir, en particulier, et le dandysme, en général, esthétisent ces personnages qui fonctionnent à la fois comme objets et agents du désir. Le lien avec ce personnage est renforcé par le col en forme d’éventail et les couleurs des vêtements de la fée des Lilas79. Néanmoins, en mêlant nature et culture, le château bleu oppose son désordre au château de Chambord, plus ordonné. Il est impossible de parler du spectacle et des miroirs sans se pencher sur les différentes fonctions du regard. authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books. Ils ne sentiront pas, au moins ?L’Architecte : Bien sûr que non, Majesté.Marie-Antoinette : Parfait. Elle regarde le lit qui est en paille. Cette version apocryphe désigne la bonne fée du conte original de Perrault sous le nom de fée des Lilas et atténue, de manière significative, la culpabilité du père encore plus que ne le fait Perrault, tout d’abord par la requête de la reine qu’à sa mort, le roi prenne une nouvelle épouse et, ensuite, par les conseils que donnent au roi ses ministres d’épouser sa propre fille. D'abord Amour, Amour, sur le thème de la recherche de l'amour puis Rêves secrets d'un prince et d'une princesse lorsque l’amour est trouvé. Selon cet auteur, « la normalité se fait passer pour naturelle ; la perception gay de la superficialité littérale de la normalité a pour effet de dénaturaliser le normal. 29Certaines incongruités deviennent visibles par le simple transfert de l’image sur l’écran. Et, comme la princesse de Peau d’âne, Marie-Antoinette incarne le lieu de convergence du narcissisme, du voyeurisme et de l’exhibitionnisme : tandis qu’elle contemple son image, le comte Fersen parcourt ses appartements du regard. 56 Camille Taboulay, op. » Deneuve est en couverture du numéro du 30 avril 1968 de Look. Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search, Duggan, A. E. 2015. Demy et Varda passaient régulièrement leurs vacances avec leurs enfants sur l’île de Noirmoutier. 80 « Le Dandy doit aspirer à être sublime, sans interruption ;/Il doit vivre et dormir devant un miroir » (Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, édition établie par Claude Pichois, Genève, Droz, 2001, p. 5 verso). 1 0 obj 72 Si de nombreux éléments permettent d’affirmer que Demy connaissait très bien les contes de Perrault et des frères Grimm, je n’ai trouvé aucun indice de sa connaissance des contes de Madame d’Aulnoy. 12 Pour une brève comparaison des versions de « Peau d’âne » par Straparola, Basile et Perrault, voir Anne Duggan, Salonnières, Furies and Fairies : The Politics of Gender and Cultural Change in Absolutist France, Newark, University of Delaware Press, 2005, p. 149. Avec nonchalance, la fée des Lilas lui explique en chantant que les filles ne sauraient épouser leur père : c’est une question « de culture et de législature ». Dans la version collectée par ces derniers, le foyer des nains est assez ordonné, alors que, chez Disney, un désordre indescriptible règne dans la maison des sept nains. Bien entendu, la princesse de Demy est habillée en princesse, vêtue d’une belle robe de taffetas bleu qui tranche nettement avec la forêt à travers laquelle elle se précipite. Wayne Andersen remarque que « [Sigmund] Freud a réuni un certain nombre de contes populaires dans lesquels argent et matières fécales sont équivalents » (W. V. Andersen, Freud, Leonardo da Vinci, and the Vulture’s Tail : A Refreshing Look at Lenardo’s Sexuality, New York, Other Press, 2001, p. 163). À ce niveau de signification, la Bête devient le signifiant même de la présence queer au sein du film, malgré l’hétérosexualité (pas tout à fait) conventionnelle dépeinte dans le dénouement dont Cocteau, on le sait, était mécontent35. Au centre de la rose, nous découvrons alternativement un œil ou une bouche lorsque la rose regarde le prince ou lui parle. De même que l’esthétique camp bouleverse les dichotomies telles que nature/culture, féminin/masculin, animal/humain, le regard camp déstabilise l’opposition entre sujet et objet, soi et autrui : le sujet se fait spectacle tout en se désirant et en désirant l’Autre. Comme je lui ai dit, profite, ce sont les meilleures années de la vie. » La proximité entre les dialogues de la féerie et ceux du film, ainsi que le souci qu’ont la fée et la princesse pour leur image d’elles-mêmes, laissent penser que Demy connaissait la féerie. Yves G -Coucou Cri cri d’amour, Tu vois je te réponds. 28Dans son analyse de l’ironie camp, Babuscio définit cette notion comme « tout contraste très incongru entre un individu ou une chose et son contexte ou son association47 ». Un mur invisible l’empêche d’approcher de la maisonnette et limite son champ de vision. "Amour, amour, je t'aime tant, je t'aime tant..." il y a 3979 jours par Alice In Oliver | Cinéma et Télévision ... Peau d'Âne est un plus petit spectacle... une session Peau d'Âne, je les connait toutes par cœur!) Deux ans avant sa mort, Demy a fait de l’inceste le thème principal de son dernier longmétrage, Trois places pour le 2643. Pour ce faire, il dénaturalise les tabous culturels et déstabilise les oppositions constitutives du système sexe-genre au sein duquel les femmes sont considérées comme les objets passifs du regard masculin et associées à la sphère domestique, et dans lequel la sexualité hétéronormative est la règle. Il est significatif que Disney consacre deux longues scènes comiques à la notion de propreté. Comme Cocteau avant lui, Demy associe la monstruosité et l’inceste à des formes non normatives de sexualité37. Tout au long de Peau d’âne, Demy réunit ces trois stratégies camp dans son recours à l’inceste comme trope des sexualités alternatives ; dans la récurrence des juxtapositions incongrues entre haut et bas, ancien et moderne, nature et culture, dont le but est de dénaturaliser les normes établies ; et dans la manière dont ses héroïnes, tels des dandys féminins, sont à la fois des œuvres d’art et des sujets désirants. L’amour se porte autour du cou, le cœur est fou Quatre bras serrés qui s’enchaînent l’âme sereine ... Amour, Amour, je t’aime tant. Il y a hélicoptère avec le roi et la fée. La princesse de Peau d’âne paraît tout aussi déçue à la fin de ce film. Elle a été représentée à Paris au Théâtre de la porte Saint-Martin et au Théâtre de la Gaîté, deux célèbres music-halls de l’époque. En bête des bois, Peau d’âne évoque le loup du « Petit Chaperon rouge », et c’est le prince, vêtu de rouge, qui en interprète le rôle titre. 2 0 obj Amour, Amour, je t’aime tant Amour, Amour, je t’aime tant Le perroquet Amour, Amour, je t’aime tant Conseils de la Fée des Lilas La situation mérite attention. 39Cette idéologie de la domesticité n’était pas étrangère à la culture américaine en général, ni à Walt Disney en particulier. Référence à Cocteau, ce plan rappelle de manière frappante une scène d’Orphée dans laquelle Orphée est vu de l’autre côté d’un miroir à travers lequel il essaie de passer. Farmer évoque ici l’investissement qu’effectue le sujet queer dans un texte ou un objet culturel, auquel il confère « des vertus presque talismaniques afin de réparer ou de rectifier un socius [ou lien social] dégradé89 ». Sur Cocteau dandy, voir Andrea Fontenot, « The Dandy Diva », Camera Obscura, vol. de l’allemand par Olivier Mannoni, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2010, p. 154-155). 33 Voir, par exemple, Harry Benshoff, Monsters in the Closet : Homosexuality and the Horror Film, Manchester, Manchester University Press, 1997. Dans le même temps, l’esthétisme gay doute de l’existence d’une manière d’être naturelle et, par conséquent, la reconnaissance de l’artificialité de la réalité constitue une démarche honnête46 ». Il est significatif qu’en 1968, deux avant la sortie de Peau d’âne, Look, l’un des plus importants magazines de photojournalisme américains après Life, ait consacré l’une de ses couvertures à Catherine Deneuve, en titrant « Elle pourrait bien être la plus belle femme du monde77. Liberté artistique et satire grotesque. 57 Autre référence intertextuelle possible : dans La Belle au bois dormant de Disney, le rouge (associé au prince) et le bleu (associé à Aurore) sont aussi présents. ), Toward an Anthropology of Women, New York, Monthly Review Press, 1975, p. 157-210, pour une analyse du travail féminin et de l’échange de femmes, qui remet en cause l’universalité des modèles proposés par Claude Lévi-Strauss, entre autres. La manière dont Demy revisite dans son film le « Peau d’âne » de Perrault semble dénaturaliser le conte, en rendant évidentes les incongruités latentes dans le récit. Mais son film muet de quinze minutes délaisse entièrement le thème de l’inceste en faisant demander la main de la princesse par un « fiancé ridicule » – un noble aux jambes affreusement arquées – à la place du père. 82, no 2, 1998, p. 199-208. Quand la Française est sale, alors la France est sale et attardée59. L’ironie, c’est que l’on pourrait dire que ce mélange du noble et du sale, de l’animal et de l’humain rend « impropre » (au sens de Beaver) cette scène de domesticité. Amour, amour, je t’aime tant » (Love, love, I love you so), croons Peau d’âne who offers us below the recipe of the love cake « préparez votre, préparez votre pâte, dans une jatte, dans une jatte plate…» (prepare your, prepare your dough, in a bowl, in a flat bowl…) x��[[o�~��0}2YX����.��p�N�FV%3/&)����/)���_��3��!�f�yhG"wgϜ�w.�:���w�lϾ���r��g�����z�_/8��f~���_���b�:���f������|{q��^�bW�OOί9�{wz�Y�q&�L3Qf��_��������ÄM`�9=��tz��,*�ińʊ���q��l;?=���j�d�����Y�0���#w�)��Ȏ(~G���o_1v����՛�,wʂ�*-AɳB1�g�b:��)����Y��s�^�Y%Qn�R�3O�k��&"Tv*���2�ebB�Lf�)�7b&�ay&U?�l{�v�/d���陘�c?U���M��-\���TL��c=�|��M�d ���'b�:���ԫ������U&����w�[�8��������s5?�ިD������-64T n�,������Kv �.����My���j��n�X�`�|���8֐�Ő��L�h�t��UY��*�8�#�?��Ţ+.ѹ�hg��,�w.�A77��E�Wy^\����0�Q�. Une autre lecture, suscitée par l’évolution du conte depuis Straparola et Basile, peut situer le film de Demy par rapport au conte de Perrault et de sa version apocryphe qui tendent de plus en plus à atténuer la responsabilité du père dans les avances qu’il fait à sa fille. Demy a explicitement commenté, dans un entretien, son désir de rendre hommage à Cocteau par le choix du comédien : « J’ai voulu ce clin d’œil à Cocteau […] car il a été le seul en France à toucher au cinéma fantastique. Mon enfant, on n'épouse jamais ses parents ! Bon l'histoire est bien, c'est un conte intéressant ça y a pas de soucis, mais l'adaptation est vraiment mauvaise. Elle incarne ce qu’Herzog appelle les « anachronismes temporels53 » du film, issus du mélange d’éléments ou d’indices temporels empruntés à des époques variées. 22À l’époque où Cocteau et Demy (du moins dans la première partie de sa carrière) étaient en activité, le désir homosexuel masculin était considéré comme une concrétisation anormale du complexe d’Œdipe, dans laquelle l’enfant masculin désire le père au lieu de la mère. […] La sexualité non normative avait été déjà été représentée dans la pièce Orphée (1926), l’inceste allait l’être dans son roman Les Enfants terribles (1929) ; l’inceste, la bisexualité et l’homosexualité dans La Machine infernale. Comme l’indique Le Gras, « Jean Marais était un homosexuel célèbre30 » ; avec Cocteau, il a formé l’un des tout premiers couples ouvertement homosexuels (dans les limites de ce qui était possible à l’époque) de la culture populaire française. 4 Raphaël Lefèvre s’intéresse à d’autres allusions à l’inceste dans l’œuvre de Demy, notamment dans « La Luxure », sketch réalisé par le cinéaste pour Les Sept Péchés capitaux (1962), Lola et Les Demoiselles de Rochefort. » Babuscio a répertorié quatre grandes caractéristiques dans les œuvres marquées par l’esthétique camp ou perçues comme telles : d’abord, l’ironie qui prend souvent la forme de l’incongruité ; deuxièmement, l’esthétisme ou l’accent mis « sur les surfaces, les textures et les images sensuelles […] non seulement parce qu’elles sont en cohérence avec l’intrigue, mais parce qu’elles sont fascinantes en elles-mêmes14 » ; en troisième lieu, la théâtralité, en particulier l’existence vue comme une pièce de théâtre et le spectacle de soi-même ; et, quatrièmement, l’humour, qui renvoie à l’ironie et mêle comédie et douleur afin de nous permettre « d’être confrontés à des questions “sérieuses” avec un détachement provisoire15 ». cit., p. 242. Voir aussi Gayle Rubin, « The Traffic in Women : Notes on the “Political Economy” of Sex », dans Rayna R. Reiter (dir. 69 L’auteur a ici recours à la notion de self-fashioning, que l’on doit à Stephen Greenblatt (voir Renaissance self-fashioning, Chicago, Chicago University Press, 1980). Dans un entretien à Télérama, Demy déclarait sans ambiguïté : « Quand j’ai écrit la scène où l’on voit Peau d’âne pétrir la pâte et chanter la chanson du cake d’amour, j’ai revu Blanche-Neige confectionnant une tarte aidée par les oiseaux64. 19 Harold Beaver, « Homosexual Signs (In Memory of Roland Barthes) », Critical Inquiry, vol. (N.D.T.). Quand il apprend que cette maison est la demeure d’une souillon appelée Peau d’âne, il demande à manger un gâteau fait de ses mains. À propos des stars du cinéma Babuscio écrit : « [Le camp] est davantage une manière de se moquer de toute la cosmologie des rôles sexuels restrictifs et des identifications sexuelles dont se sert notre société pour opprimer ses femmes et réprimer ses hommes, y compris celles et ceux de l’écran13. Dans un entretien, le cinéaste escamote l’aspect sérieux de la question de l’inceste en affirmant : « Si on demande à une petite fille “À qui tu vas te marier plus tard ?”, elle dira que “Papa”, si elle a cinq ou six ans et qu’elle aime bien son père17. 17, no 1, 2003, p. 71. Demy exagère cette image en faisant porter par son héroïne l’extravagante robe couleur de soleil quand elle se plonge les mains dans la farine et pétrit la pâte, dans une superposition de la femme, figure de la beauté et de la femme, figure de la domesticité. Peau d’Âne est dans la forêt. De même, Rodney Hill affirme que « ce conte de fées classique de Charles Perrault (1628-1703) fascinait Jacques Demy depuis la petite enfance et il eut envie d’en faire un film dès son adolescence à Nantes3 ». Amour, amour, je t’aime tant… Je t’aime tant… – Peau d’Âne On en est tous – toutes – là : c’est quoi l’Amour (bordel) ? De même que dans le conte de Perrault, elle demande à son père de lui offrir trois robes afin de repousser le mariage. » La princesse fond en larmes et, pour la consoler, la fée lui dit : « Ne pleurez pas mon enfant. 59Que Demy ait doté sa Marie-Antoinette de qualités empruntées à la princesse et à la fée des Lilas révèle son intérêt pour le soi comme œuvre d’art. On peut même dire que, dans le film de Demy, l’apparence et le désir bestiaux de la princesse assignent à celle-ci le rôle de la Bête, tandis que le prince, par son association avec la rose, joue celui de la Belle. À certains moments du film, Demy ridiculise et critique implicitement l’association des femmes avec la domesticité, en présentant des héroïnes agents de leurs propres désirs, autre moyen de remettre en question l’image de la ménagère passive tellement colportée dans la France de l’après-guerre. 28 « Jacques Demy : “J’ai attendu neuf ans pour faire Peau d’âne mais c’est mon adieu aux films roses” », France-Soir, 19 décembre 1970, n. p. 29 Voir J.-P. Berthomé, op. S’inscrivant dans cette lignée, Capellani mêle au conte de Perrault des éléments empruntés au Peau d’âne d’Émile Vanderburch (ou Vanderburck), Laurencin et Charles Clairville, féerie du music-hall populaire. « Peau d’âne », version, Portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales. cit., p. 616. 25Demy fait allusion à l’inceste dans Les Demoiselles de Rochefort – où Monsieur Dame, le « beau-père » de Solange, désire ouvertement celle-ci – et dans Parking, où Jean Marais incarne à nouveau la figure d’un père incestueux42. Bloqué par ce mur invisible, le prince est contraint d’escalader un appentis pour contempler la princesse depuis une certaine fenêtre qui ne lui donne qu’un point de vue limité puisque la jeune femme lui tourne le dos. » Dans tous ces films, Demy aborde l’inceste avec légèreté, alors que pour la majorité du public, il s’agissait d’un tabou très lourd, à l’instar de l’homosexualité. OpenEdition est un portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales. 40Il est donc possible de voir en la scène de préparation du gâteau par la princesse une parodie, ou une version camp, de la scène du rangement dans le Blanche-Neige de Disney. » Plus loin, Beaver met en relation le tabou de l’homosexualité – considérée comme un mélange de caractéristiques masculines et féminines – avec la loi biblique, en particulier celle du Deutéronome et du Lévitique, dont les interdits établissent et maintiennent les définitions distinguant la femme de l’homme, l’animal de l’humain, la plante de l’animal, qu’il est considéré comme « impur » de mélanger entre eux20. Mais le royaume réclamait un prince héritier et le roi devait se remarier. Voir, par exemple, C. Lévi-strauss, Les Structures élémentaires de la parenté, Paris, Mouton, 1967, p. 3-29. “Peau d’âne” : la Féerie existe-t-elle ? Comme l’amour de la Belle pour la Bête, l’amour de la princesse (qui devient bête) pour son père (qui renvoie à la Bête de Cocteau) en vient à signifier une forme de sexualité queer transgressive. 27 À l’époque de Peau d’âne, Delphine Seyrig avait déjà obtenu un excellent accueil au niveau international pour son rôle dans L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961). Ensuite, elle se met à chanter « Amour, amour, je t’aime tant » en se regardant dans le miroir. Il contemple sa beauté et tombe amoureux d’elle, mais la princesse ne le voit pas ou, du moins, le lecteur n’en est pas certain. Un enchaînement d’équivalences est ici en jeu dont la logique dominante est à peu près celle-ci : quand la femme est propre, la famille est propre. En réalité, si la fée des Lilas invoque la loi, c’est uniquement parce qu’elle veut, elle aussi, se marier avec le roi. 1 Voir Jacques Demy, Chansons et textes chantés, Paris, Éditions Léo Scheer, 2004, p. 92. « L’amour se porte autour du cou, le cœur est fou (…) Amour, amour, je t’aime tant ». » Comme sa marraine, la princesse est associée aux miroirs. 32Par ses références à son charme qui fonctionne « comme une pile » et à la poésie de l’avenir qu’elle offre au roi, la fée des Lilas symbolise la modernité. » Elle passe alors une robe couleur lilas, se regarde à nouveau et affirme : « Oui, c’est mieux », en ajustant sa coiffure. On pourrait en dire autant du désir queer. Comme l’inceste, elle profane irrévocablement le désir génital [hétérosexuel]19. de l’allemand par Jacques Lacan, Revue française de psychanalyse, tome V, no 3, 1932 [paru pour la première fois en allemand en 1922], p. 399-400). La fée, la princesse et la reine sont toutes les trois des beautés qui admirent la beauté, y compris la leur. Elle avait également joué dans Baisers volés de François Truffaut (1968) et dans La Voie lactée de Luis Buñuel (1969). Le cinéaste ajoute encore aux incompatibilités des rôles genrés traditionnels que les femmes étaient censés jouer en juxtaposant la belle princesse et son alter ego, Peau d’âne, qui se fait domestique jusqu’au bout en lui lisant la recette du « gâteau d’amour », en balayant la maison et en faisant le lit. J’ai écrit ailleurs que la transformation de la merde en or pouvait être considérée comme une manière de figurer l’abjectification et la purification des héroïnes soumises de Perrault52 ; en revanche, dans Peau d’âne, la même scène représentée à l’écran fait littéralement exploser l’ordre de la réalité tributaire des distinctions entre propre et sale, noble et médiocre, argent et fèces. de l’anglais par Dominique Jean, dans Œuvres, Paris, Gallimard, coll. L’inceste fonctionne, fût-ce de manière problématique, comme une représentation des sexualités queer. 23 Sur l’utilisation des cerfs dans la chambre de la princesse, voir ibid., p. 240. cité, p. 257). Dans The Aristocrat as Art (1980), Domna Stanton met en évidence les affinités qui existent entre « l’honnête homme » de la cour de Louis XIV et le dandy plus rebelle de la France postrévolutionnaire qui, comme son prédécesseur des débuts de l’époque moderne, accordait de l’importance à la mise en scène et à la construction de l’identité individuelle.

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